30 nov. 2008

Hipsters

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Je suis tombé récemment sur un article du magazine canadien Adbusters, qui propose une analyse très critique du phénomène "hipster". Article qui a suscité un vif débat, si l'on en croit les milliers de commentaires (que je n'ai eu pas le courage de lire).
La théorie du journaliste qui signe l'article, Douglas Haddow, est que ce phénomène culturel est une illustration de l'impasse dans laquelle les sociétés occidentales sont enfermées: la civilisation occidentale est condamnée, elle n'est plus capable de se renouveler.

D'abord, comment reconnaître un hipster? Où en rencontrer? D'après le journaliste, il suffit de se poser dans une soirée alternative-branchée et d'observer les jeunes "twenty-something". Les hipsters ont récupéré certains attributs et symboles de la working-class, comme les cigarettes et la bière bon marché, les T-shirt à col V (mais revisités par American Apparel) et les vélos, adoptent des looks improbables, mélanges de fringues vintage et/ou flashy, de fausses lunettes, de slims et de keffieh.
Les hipsters ont aussi leurs blogs, leurs boutiques, leurs soirées, leurs magazines, leurs danses, leurs rituels. Mais paradoxalement, peu de gens se assument leur statut de "hipsters". [je me souviens d'une conversation, alors que je découvrais le terme "hipster": moi: -mais alors, qui est hipster? - untel, untelle, etc. - et toi? - ah non, pas moi! - alors que la personne en question pouvait parfaitement entrer dans cette catégorie.]
J'ajouterai de mon expérience personnelle que le hipster est végétarien, fume de la weed, vénère Mac et Ipods, s'intéresse à la photographie et/ou fréquente une école d'art -mais c'est totalement subjectif.

De toute façon, si l'on en croit Douglas Haddow, apporter une définition de se mouvement relève de l'impossible: c'est devenu un phénomène mondial, détruisant, ou plutôt assimilant, toutes les contre-cultures urbaines préexistantes. Le résultat est une communauté hétérogène, superficielle, qui n'a pas vraiment de valeur ou de combat, et qui, au contraire, s'accommode de la société actuelle sans proposer d'alternative. En reprenant l'esthétique de la classe populaire -et en lui retirant toute signification- cette génération plutôt privilégiée (et narcissique) trouve un échappatoire à une vie sans but.

La raison de ce vide idéologique, de ce manque d'authenticité? C'est la première contre-culture à être née "sous le microscope des pros de la publicité", l'obligeant à évoluer sans cesse pour espérer contrer les récupération publicitaires et les manipulations. "Davantage qu'une sous-culture, les hipsters forment un groupe de consommateurs, qui utilisent leur capital pour se doter d'une image de rébellion et d'une fausse authenticité. Mais dès qu'une tendance, un groupe, un son ou un style obtient une certaine exposition, il est soudainement dédaigné et oublié." Conclusion: les hipsters ne peuvent pas être fidèle à quoi que ce soit, il faut sans cesse changer de centre d'intérêt, de peur de n'être rapidement récupéré par le courant dominant. Il n'y a plus de création, plus rien de nouveau. C'est la fin de la civilisation occidentale.
Douglas Haddow est clairement engagé, nostalgique des mouvements révolutionnaires du passé et il conclue sur un ton moralisateur (en gros: "oui, il faut que les jeunes quittent leur existence futile faite de soirées et d'alcool, et se bougent pour changer un monde qui court à sa perte.") Son point de vue sur cette "lost generation"/"last generation" est forcément un peu biaisé: je ne sais pas si le mouvement hipster est aussi vide de sens qu'il le présente, et j'espère qu'il se trompe.
L'auteur pointe aussi du doigt un paradoxe: cette sous-culture est en perpétuelle ébullition, changeant constamment pour éviter les récupérations; mais de ce mouvement infernal, selon lui, rien ne ressort, si ce n'est du vide, du narcissisme et de la superficialité. Il est sûrement beaucoup trop tôt pour dire qu'il n'y a rien de bon à retenir de tout ce "hipsterdom".